Plus de 40 ans après sa mort, Mehdi Ben Barka n'en finit pas de faire parler de lui. Alors que
la France n'a pas encore totalement levé le secret sur son dossier, les grandes questions sur
sa disparition après son enlèvement le 29 octobre 1965 à Paris, reviennent sur les devants de
la scène.
Le 22 octobre dernier, Patrick Ramaël, le huitième juge français d'instruction en charge de ce
dossier, a signé des mandats d'arrêt internationaux qui surprennent à Rabat. Ces mandats
auraient été remis à Interpol.
Les cinq personnes visées par le juge Ramaël qui seraient donc interdites de tout
déplacement à l'étranger, sont le général Hosni Benslimane, chef de la gendarmerie royale,
Abdelkader Kadiri, ancien patron de la Direction générale des études et de la documentation
(DGED), Miloud Tounsi, alias Larbi Chtouki, l'un des membres présumés du commando
marocain qui aurait enlevé Ben Barka, Boubker Hassouni, infirmier et agent du Cab 1 et
Abdlekak Achaachi, également agent du Cab 1.
Révélée par Joseph Tual sur France 3 (lire interview de ce journaliste), l'annonce du
lancement des mandats d'arrêt est intervenue au premier jour de la visite officielle qu'avait
effectuée le président français Nicolas Sarkozy au Maroc.
En réaction, le ministère de la justice a récemment « démenti catégoriquement avoir eu
connaissance ou avoir reçu, ni directement ni indirectement, un quelconque mandat d'arrêt
en rapport avec l'affaire de l'enlèvement du citoyen Mehdi Ben Barka, contrairement aux
informations colportées par certains média ».
Qui croire alors ? Y a-t-il eu oui ou non des mandats d'arrêts ? Ont-ils été effectivement
lancés ?
Explications de Bachir Ben Barka, fils aîné de Mehdi Ben Barka dans cet entretien.
Tout d'abord, quelle est votre réaction par rapport au communiqué qui vient d'être publié par le
ministre marocain de la justice et qui « dément catégoriquement avoir eu connaissance ou avoir
reçu, directement ou indirectement, un quelconque mandat d'arrêt en rapport avec l'affaire de Mehdi
Ben Barka ? »
A ma connaissance, lorsque Interpol informe les pays membres du lancement d'un mandat d'arrêt
international, il ne le fait pas en direction du pays dont les nationaux sont concernés par cette
procédure. Il me semble que le ministère marocain de la justice aurait dû connaître cet aspect de la
procédure.
Pensez-vous que les mandats d'arrêt contre des responsables marocains ont été effectivement émis
par le magistrat Patrick Ramaël ?
Votre question laisse entendre qu'il y aurait en France une manipulation de l'instruction judiciaire
dans ce dossier. C'est méconnaître la volonté d'indépendance des juges d'instruction en France et
du juge Ramaël en particulier. La décision de lancer les mandats d'arrêt contre ces personnes est
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affaire
venue à la suite de l'impossibilité d'enregistrer leur témoignage dans le cadre de la procédure
normale des commissions rogatoires, parce que les autorités judiciaires marocaines n'ont pas
contribué à leur bonne exécution. Face à cette situation de blocage, le juge a été amené à prendre
cette décision spectaculaire mais cependant courante lorsqu'un témoin refuse de répondre à une
invitation d'un juge d'instruction.
Vous, en tant que représentant de la famille Ben Barka, partagez-vous l'avis du ministre de la justice
qui estime qu'il y a « une instrumentalisation politicienne exécrable de l'affaire, et du tapage de la
part de certains média ? »
J'aurais souhaité que le ministère marocain de la justice s'émeuve d'abord du retard considérable
pris dans la recherche de la vérité sur le sort de Mehdi Ben Barka et non pas de la convocation par
mandat d'arrêt de personnes qui peuvent nous éclairer sur son sort. Ce qui est exécrable et
insupportable pour ma famille c'est le fait que, depuis 42 ans, nous n'ayons pas de réponse à des
questions fondamentales sur le plan humain et sur le plan citoyen : Où est le corps de Mehdi Ben
Barka ? Qui sont ses assassins ? Toutes les responsabilités ont-elles été établies ? N'est-il pas plus
opportun de s'interroger sur les raisons de ces blocages ?
Plutôt que de parler d'« instrumentalisation politicienne » de l'affaire, il faudrait plutôt rappeler les
raisons de fond qui ont amené à la disparition de Mehdi Ben Barka. Nous sommes en présence d'un
crime politique.
La décision politique à l'origine de ce crime est marocaine, au plus haut niveau de l'Etat. L'exécution
de cette décision a pu se faire grâce à la convergence d'intérêts et la complicité de plusieurs services
de renseignements (marocains, français, israéliens et peut-être américains), de policiers français, de
truands et de polices parallèles. Ces mêmes convergences ont usé et abusé de la « raison d'Etat »
pour empêcher durant plus de 40 années la justice de faire son travail et ma famille de connaître le
sort de mon père.
Voilà la véritable dimension politique de l'Affaire Ben Barka. Heureusement que certains média ont
continuellement fait honneur à leur profession en ne cessant pas d'informer le public sur cette affaire,
en enquêtant, en brisant le mur de silence qu'a essayé d'ériger la raison d'Etat, empêchant que le
dossier soit totalement enterré.
Mis à part le communiqué du ministère de la justice, où en est le dossier Mehdi Ben Barka. Est-ce
qu'il y a du nouveau à ce sujet ?
Le communiqué du ministère de la justice ne fait que reprendre des arguments déjà utilisés il y a
plusieurs mois par ce même ministère pour justifier les blocages constatés dans l'exécution des
commissions rogatoires. Si nous-mêmes avions à l'époque regretté les maladresses du juge
Ramaël, nous avions insisté sur le fait que ces péripéties ne devaient pas servir de prétexte pour
éluder la question de fond.
Aujourd'hui, le dossier avancerait d'un grand pas si la justice pouvait recueillir les témoignages des
personnes concernées par les mandats d'arrêt. Chacune d'elle, à un titre ou un autre, détient ou a
détenu une partie de la vérité sur le sort de mon père. Ce qui est certain c'est que leur témoignage,
jamais enregistré par la justice à ce jour, est de nature à éclairer beaucoup de zones d'ombre dans
ce dossier et, nous l'espérons, répondre en partie à nos interrogations. Il est urgent d'agir dans ce
sens avant qu'il ne soit trop tard ; à moins que certains ne jouent la politique du pire en attendant que
ces témoignages deviennent inutiles... Faute de témoins.
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Ce serait un très mauvais calcul et une offense à tous ceux qui aspirent à cette vérité sur notre
passé douloureux.
Où réside le blocage exactement dans l'affaire Ben Barka ? Est-ce du côté de la justice marocaine,
française ou aurait-il d'autres origines ?
L'affaire n'est ni maroco-marocaine ni franco-française. Elle est franco-marocaine : décision politique
marocaine, complicités franco-marocaines, crime commis sur le sol français, connivence commune
pour empêcher l'établissement de la vérité, protection marocaine des truands français, usage du
secret-défense pendant de longues années, rétention des archives dans les deux pays... Voilà
quelques uns des exemples de la responsabilité commune des deux Etats dans le blocage, même si,
de temps en temps, il y a eu quelques avancées ici ou là.
Cependant, durant les cinq dernières années, il y a eu une réelle impossibilité à faire exécuter les
commissions rogatoires des juges français par la justice marocaine. Adresses de hauts responsables
marocains introuvables, refus systématique de faire des recherches au PF3... Autant de prétextes
pour retarder la procédure.
A cela il faut ajouter qu'on nous a demandé d'attendre la fin des travaux de l'IER qui aurait dû
apporter toute la lumière sur ce dossier. Nous avons respecté cette requête. Seulement, l'action de
l'IER dans ce dossier a été un échec. De plus, nous apprenons aujourd'hui que le traitement de ce
dossier a été fait sous l'angle de la raison d'Etat. On ne peut donc que douter de la réalité de la
volonté politique de faire avancer la recherche de la vérité.
Il y a 42 ans, il y a eu, au Maroc, une volonté politique forte qui a abouti à l'enlèvement et
l'assassinat de mon père. Aujourd'hui, il faudrait, au Maroc et en France, une volonté de la même
force pour faire la lumière sur le sort de l'un des acteurs de premier plan de l'indépendance du Maroc
et de la lutte des peuples pour leur émancipation et leur développement.
Quel est votre avis au sujet du film réalisé par France 2 sur Mehdi Ben Barka. Surtout que le juge
Patrick Ramaël le prend au sérieux ?
Pour présenter ce que les auteurs appellent « l'affaire Ben Barka », le scénario s'est très largement
inspiré de la version colportée par un ancien agent des services secrets marocains (ndlr, Ahmed
Boukhari), reprise dans un livre publié en France et au Maroc. Les différentes et contradictoires
déclarations de ce personnage n'ont jamais été étayées par le moindre début de preuve et il n'a
jamais été entendu par un juge d'instruction français, contradictoirement avec la partie civile. Toute
sa démarche a d'ailleurs suscité beaucoup d'interrogations sur les possibles manipulations dont il
peut avoir été le vecteur.
C'est cette possibilité de manipulation et d'influence sur son instruction qui pousse le juge Ramaël à
s'intéresser de près à ce téléfilm. Indépendamment de ses qualités artistiques et techniques et du
travail des acteurs, le téléfilm est tout sauf « l'affaire Ben Barka ».
Il nous semble inconcevable que la télévision française de service public se fasse involontairement la
complice d'une opération de désinformation. Il nous semble inconcevable que les auteurs du film se
soient appuyés sur des éléments aussi contestables pour présenter au public une affaire d'une telle
dimension politique et humaine, tragique et scandaleuse à la fois.
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affaire
Cette légèreté dans le traitement d'un sujet aussi sensible et complexe n'a d'égale que la volonté
délibérée des auteurs de refuser de communiquer sérieusement avec ma famille et son conseil, Me
Buttin avant et pendant la réalisation du projet. Je ne parle pas de la mise en image de ma mère et
mes frères et soeurs dans des scènes de famille, sans notre autorisation ni notre accord.
Coup de gueule d'Abdelouahad Radi
Le ministère de la justice, dirigé par Abdelouahad Radi, a démenti catégoriquement, le 17 octobre,
avoir eu connaissance ou avoir reçu, ni directement ni indirectement, un quelconque mandat d'arrêt
en rapport avec l'affaire de l'enlèvement de Mehdi Benbarka.
Le ministère précise dans ce communiqué que : « certains média se sont fait l'écho d'une information
faisant état de mandats d'arrêt internationaux qui auraient été lancés contre des citoyens marocains,
en vue de les entendre en qualité de témoins dans l'affaire de l'enlèvement du citoyen marocain
Mehdi Benbarka. Afin d'éclairer l'opinion publique nationale et internationale avec toute la
transparence, l'objectivité et l'intégrité qu'exige la situation, et suite aux investigations menées par le
ministère de la justice, celui-ci dément catégoriquement avoir eu connaissance ou avoir reçu un
quelconque mandat d'arrêt en rapport avec cette affaire et ce, ni directement, à travers les autorités
judiciaires marocaines compétentes, ni indirectement, par voie diplomatique ou sécuritaire ».
Dans son communiqué, le ministère parle même de « dépassements irresponsables » dans cette
affaire. Il cite dans ce cadre « entre autres exemples, le juge d'instruction français, chargé du
dossier, Patrick Ramaël ». Il conteste dans ce cadre que le juge français « s'est fait passé pour un
exploitant agricole, à son arrivée dans notre pays en vue d'exécuter une des commissions
rogatoires, dissimulant son statut judiciaire ». Plus encore, et c'est une information qui est diffusée
officiellement pour la première fois, « Patrick Ramaël s'est, en outre, conduit de façon cavalière avec
le parquet près la Cour d'appel de Casablanca, notamment en faisant irruption dans le bureau d'un
juge dudit parquet, en jetant par terre des documents, avant de prendre la fuite par les couloirs du
tribunal, dans un comportement indigne du respect dû à la justice.
Pire encore, il a poussé l'outrecuidance jusqu'à traiter le juge d'instruction marocain, comme s'il
s'agissait d'un simple assistant, et ce, en essayant de lui imposer son propre agenda et d'exercer
des pressions externes, à travers des fuites organisées systématiquement en direction de certains
organes d'information ».
Selon le ministère de la justice « ces dépassements ont consisté également à rendre publiques les
commissions rogatoires, ainsi que des photos et des documents en rapport avec le dossier
d'instruction, avant de les transmettre de façon légale aux autorités judiciaires nationales
compétentes ».
C'est pourquoi l'on parle dans les couloirs du ministère de la justice d'une demande des autorités
marocaines à l'adresse de la France pour que Patrick Ramaël soit dessaisi de cette affaire.
Réaction de Miloud Tounzi
Miloud Tounzi, dont le nom a été cité dans le cadre de l'affaire Ben Barka, a déposé plainte, le 13
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affaire
novembre, à Paris auprès du procureur de la République française. Il dénonce notamment, selon ses
avocats, Me Andaloussi au Maroc et Me. Clément en France, « la violation du secret de
l'instruction ».
« C'est avec la plus grande stupéfaction que, le 19 octobre dernier, Miloud Tounzi a appris par
Joseph Tual, journaliste à France 3, qu'un mandat d'arrêt international allait être remis contre lui
dans le cadre de l'affaire Ben Barka », souligne Me Clément dans un communiqué, diffusé par la
MAP.
« Monsieur Tounzi a été d'autant plus choqué qu'il n'a jamais fait l'objet de la moindre convocation
par le magistrat en charge du dossier, Patrick Ramaël et que Joseph Tual lui a même précisé qu'il
disposait d'une « fenêtre de passage de cinq jours pour quitter le Maroc », ajoute l'avocat dans son
communiqué.
Et de rappeler que trois jours plus tard, ce même journaliste, « faisant fi de la présomption
d'innocence, présentait Tounzi, sur France 3, comme ‘le principal organisateur de l'enlèvement de
Mehdi Ben Barka' ».
Dans ces conditions, indique Clément, « Miloud Tounzi s'interroge sur les complicités qui pourraient
exister entre les différents protagonistes de ce dossier judiciaire vieux de trente-deux ans ».
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