source : http://www.forumgc.org/spip.php?article322
Trois leviers pour une gouvernance locale
À quelques jours des élections municipales, il était essentiel de revenir sur un des grands enjeux, celui de l’approfondissement de la démocratie locale. Nous reprenons ce texte élaboré dans le cadre d’Icare (Initiatives de citoyenneté active en réseau) et de l’Adels (Association pour la démocratie et l’élaboration locale et sociale).
La mondialisation... Comme l’objectif semblait loin des capacités d’action de la citoyenneté ! Les arrangements de sommets, dont les effets organisent pourtant une part de notre existence, apparaissaient hors du champ d’un quelconque contrôle social. Mais tout a basculé à Seattle : ce qui semblait insaisissable est brusquement devenu fragile face à une mobilisation, il est vrai, exceptionnelle. « Penser globalement, agir localement », la maxime du développement durable induit, après Seattle, l’inévitable logique de son retournement : « penser localement, agir globalement ». En effet, la réalité locale est aujourd’hui mondialisée par un processus qui intègre deux tendances apparemment contradictoires : globalisation et transversalité d’une part ; diversification et autonomie de l’autre. L’éclatement des lieux, des niveaux de la décision politique et la variété grandissante des appartenances concrétisent cette évolution. Elle s’accompagne aujourd’hui d’un renouvellement de la demande sociale en termes de démocratisation et d’engagement citoyen. L’émergence d’une citoyenneté active sur le terrain de la mondialisation à travers l’action de la Confédération paysanne, d’Attac et d’autres est, à cet égard, significative. Au plan national, la démonstration renouvelée qu’un projet de réforme n’est viable que s’il bénéficie d’un réel soutien du corps social concerné est aussi significatif. L’action publique doit, à l’avenir, se construire dans le respect des exigences de la démocratie délibérative. Le règne du monarque éclairé, encore tellement présent dans la société locale actuelle, a atteint ses limites. Une gouvernance démocratique adaptée à notre temps est à définir, non seulement pour des raisons éthiques, mais également dans un souci d’efficacité de l’action publique.
Renouveler la démocratie locale
Une société civile globale est en émergence ; elle repose sur des identités multiples qui en constituent la richesse. En effet, nous sommes entrés aujourd’hui dans un monde de multi-appartenances, de citoyennetés emboîtées. Des synergies nouvelles se dessinent entre le global et le local.
Mais cela traduit aussi les interrogations relatives à l’état du rapport des citoyens à la politique. Il est en effet très dégradé et cette situation perdurera, en dépit d’un contexte économique plus favorable. Des difficultés majeures subsistent. Elles touchent au cœur du fonctionnement de la démocratie et appellent à reconstruire un nouveau mode de gouvernance locale. Proches du citoyen, les collectivités locales constituent le lieu privilégié de construction de cette démocratie plus participative. La distance à la politique tient, pour une large part, au scepticisme qu’éprouve une fraction importante du corps social quant à la capacité de l’action politique à transformer le monde. Or, le citoyen, contrairement aux apparences, n’est pas sans intérêt pour la chose publique, nombre d’actions locales et d’études en témoignent amplement. Mais l’offre politique lui apparaît bien souvent réduite à des enjeux de pouvoir. Aussi, les appels incantatoires à participer ne peuvent pas répondre à une exigence de contenu beaucoup plus dense. On ne participe durablement à la vie publique que si les actions sont porteuses de sens et si l’on dispose d’un pouvoir permettant de prendre part au processus de décision, autrement dit, de peser sur son élaboration et sa mise en œuvre.
Il ne s’agit pas de contester la légitimité du suffrage universel et la démocratie représentative ; mais, parce que concevoir et réaliser une politique publique est un processus devenu complexe, il s’agit de réunir les conditions permettant d’intégrer de multiples acteurs au processus de décision. En effet, il faut concevoir la prise de décision comme un processus englobant l’avant, le pendant et l’après.
La nouvelle gouvernance devrait, au-delà du respect du contrat républicain de base, intégrer une vision dynamique des rapports du citoyen à l’action publique. Le concept même de gouvernance implique la reconnaissance de la multiplicité des acteurs et du nécessaire partage du pouvoir dans le processus de décision.
Premier levier : l’évaluation démocratique
La citoyenneté, pour être activée, doit s’exercer dans la durée. C’est là qu’achoppent généralement les dispositifs dits de participation. Construire de la durée afin de recomposer du lien politique suppose des dispositifs démocratiques et des dynamiques d’acteurs sans lesquels le soufflé participatif retombe presque inéluctablement.
Comment imaginer de tels processus dans le cadre de la démocratie locale ? L’évaluation démocratique et pluraliste des politiques publiques locales est un des leviers d’une démarche novatrice. Évaluation, ce mot est généralement source de confusions. Il ne s’agit pas, pour nous, de l’assimiler à celle des administrations réalisée par elles-mêmes ou du contrôle de conformité juridique et financière ou encore des audits.
Face aux approches méthodologiques de l’évaluation, il s’agit de donner à celle-ci sa nécessaire dimension politique. L’évaluation démocratique est un processus dynamique impliquant notamment la participation d’acteurs issus de la société civile. Elle suppose la pluralité des points de vue, des compétences et des expertises, la reconnaissance d’une maîtrise d’usage des citoyens.
L’évaluation, pour être démocratique, ne peut s’exercer que dans la durée. On pourrait même la découper en séquences correspondant à l’avant, le pendant et l’après décision.
Un tel processus, s’il est mené dans la transparence et soutenu par une volonté politique réelle, peut être structurant d’une démocratie délibérative. Il fournit, dans le temps, un cadre de participation des citoyens à l’action publique, sans reléguer au rang des archaïsmes la contestation et l’opposition politique.
Deuxième levier : l’agenda 21
Le cadre de réflexion et d’action du développement local durable, qui allie global et local, est une occasion nouvelle de réfléchir, autrement et ensemble, le local. Les agendas 21 locaux supposent d’associer à la fois le court terme à une vision prospective, l’action de terrain à l’approche globale, la réalité des cloisonnements administratifs à la nécessité de leur dépassement imposée par la transversalité de la démarche. En associant dans les réflexions et les décisions locales le social, l’économique et l’environnemental, il permet aux militants associatifs et aux acteurs locaux de dépasser leur cadre de réflexion et d’action. L’agenda 21 constitue donc un des enjeux de l’exercice d’une nouvelle gouvernance locale et un objectif concret de mobilisation collective. En incluant une charte de la citoyenneté locale, il offre un cadre négocié et contractualisé du débat public.
Troisième levier : le budget participatif
La citoyenneté ne peut se développer que si les acteurs locaux ont le sentiment de pouvoir agir sur leur cadre de vie collectif. Il est donc indispensable de proposer des moyens d’action concrets. La mise en place de budgets participatifs et d’enveloppes financières de quartier sont des moyens de développement d’une citoyenneté active. Cette démarche permet de prendre part au processus de décision, à sa mise en œuvre et développe l’efficacité de l’action publique. Les initiatives prises dans différentes villes du monde montrent combien les budgets participatifs permettent de renouer le couple gouvernant/gouverné. Il suppose un nouveau regard sur la gestion du temps de l’action locale et sur l’emboîtement des échelles de décision. Définir la gouvernance locale suppose donc de renouveler les moyens de l’exercice de la démocratie locale et les contenus de l’action publique. Mais la citoyenneté locale est aussi directement confrontée à la question sociale. Nous savons d’expérience que des dispositifs participatifs, apparemment bien construits, peuvent, dans la pratique, s’avérer socialement sélectifs. Nous n’avons pas de recette miracle à proposer, encore convient-il de cerner les enjeux. La déchirure du tissu social qui perdure engendre une fracture culturelle déstructurante du lien démocratique. Le contenu des politiques publiques économiques et sociales est certes déterminant, mais la recomposition du lien social également. De Seattle aux actions de proximité pour l’emploi, une citoyenneté sociale prend corps en jetant ainsi les bases d’une solidarité plus agissante. Dans le même temps, ce mouvement interpelle les formes traditionnelles de la démocratie, notamment au plan local. C’est à cette réflexion collective et, au-delà, à cette action, que nous convions tous les acteurs de la démocratie locale. Nous souhaitons que l’ensemble des propositions, au nombre de 90 formulées par l’Adels1, y contribuent utilement.
Le rapport des citoyens à la politique est à l’évidence en question. Nous avons la prétention de penser que des réponses existent, que des approches constructives ne demandent qu’à être expérimentées. Encore faut-il en faire une exigence sociale et civique.
1. 90 propositions pour plus de démocratie. Adels. 108-110 rue Saint Maur. 75011 Paris.